Annie Ernaux – prix Nobel de littérature 2022

Aujourd’hui, je voudrais te parler d’Annie Ernaux. Annie Ernaux vient de recevoir le prix Nobel de littérature et tu as certainement déjà entendu son nom à cette occasion. Mais en réalité, j’avais prévu cet épisode depuis quelque temps déjà…

J’ai découvert Annie Ernaux il y a quelques années. Je ne sais plus comment. Mais ce dont je me souviens bien, c’est qu’après en avoir entendu parler une fois, son nom est revenu très souvent.

Je crois que cela correspond à ce que Carl Gustav Jung appelle la synchronicité. Souvent on utilise ce mot pour dire qu’une fois que notre attention a été attirée par quelque chose, on le remarque plus souvent dans notre environnement. Par exemple, si tu souhaites acheter une voiture et qu’un modèle particulier te plaît, tu vas le voir plus souvent dans la rue, tout simplement parce que tu le remarques.

Je crois que le concept de Jung allait un peu plus loin. Ce n’est pas seulement qu’on remarque quelque chose qui n’attirait pas notre attention auparavant, c’est que des occasions de le voir se créent. Il avait inventé ce concept après un hasard étrange. Une patiente lui racontait un rêve dans lequel on lui offrait un scarabée. Un scarabée avait alors justement tapé contre la fenêtre du cabinet. Le scarabée était là au bon moment, ce n’était pas qu’une question d’attention.

Bref, je crois qu’il y a bien eu un moment à partir duquel on s’est mis à beaucoup parler d’Annie Ernaux, alors qu’avant on entendait très peu de choses sur elle. Et l’apothéose a eu lieu au moment du prix Nobel.

Peut-être que cela a un rapport avec le fait de mettre en avant les femmes.

J’ai même entendu quelque part qu’on la prenait un peu de haut. On a mis longtemps à lui reconnaître son talent d’écrivaine… Dans ses livres, elle parle beaucoup de sa vie. Et sa vie tourne autour de « problèmes de femmes ». Je soupçonne que cela tient au fait qu’elle en est une ;-)… Certain·es considèrent donc que ces problèmes « de femmes » ne sont pas assez sérieux pour faire partie de la « littérature ». Et d’ailleurs, ces critiques ont repris lorsqu’elle a reçu ce fameux prix Nobel.

En plus, elle utilise une langue simple. C’est un style froid, factuel (qui raconte des faits de manière objective) et minimaliste. Elle revendique cette écriture neutre, sans jugement, sans métaphore, sans comparaison romanesque. Est-ce qu’utiliser une langue simple est la preuve d’une absence de talent ? Je ne suis pas d’accord : être simple demande un effort et beaucoup de travail. Il y a beaucoup de beauté dans la simplicité. Elle rend les choses accessibles. C’est le contraire du jargon des expert·es qui cache parfois leur incompétence.

Le prix Nobel qu’elle a reçu cette année n’était pas son premier prix littéraire. En France, elle avait déjà reçu le prix Renaudot en 1984 pour un livre intitulé « La place ». Il se trouve qu’elle y parle d’un homme, son père… C’est peut-être pour cela qu’on a pris ce livre-là plus au sérieux. Pour elle, il n’existe pas d’objet poétique ou littéraire en soi (par nature). Elle serait peut-être d’accord avec cette citation du philosophe Kant : « L’art, ce n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose. »

Biographie

Annie Ernaux est née en Normandie, où elle a grandi. Elle vient d’un milieu modeste. Elle a fait des études et est devenue professeure de français. Elle a enseigné au lycée puis au Centre National d’Enseignement à Distance, que les Français connaissent sous le sigle CNED.

Elle s’est mariée et a eu deux fils avant de divorcer 17 ans plus tard.

Dans ses livres, elle parle du fait de faire des études quand on vient d’un milieu modeste (comme Édouard Louis), de son mariage, de son avortement et même de sa sexualité et de ses relations amoureuses.

 

La place

Dans ce livre court (128 pages), Annie Ernaux parle de son père, en commençant par sa mort. C’est la douleur qu’elle a ressentie à la mort de son père qui est à l’origine du livre. Ensuite, elle revient sur sa vie.

C’est le récit d’une vie simple, dans un style simple. D’abord paysan, son père est devenu ensuite ouvrier, puis épicier. Annie Ernaux parle de ses espoirs de vie meilleure.

Elle parle aussi de son sentiment de le trahir en faisant des études, en quittant le milieu ouvrier et en cachant ses origines. Elle réfléchit au rôle de la langue et de l’écriture.

Un extrait

« Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide. Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m’aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche. Puisque la maîtresse me « reprenait », plus tard j’ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que « se parterrer » ou « quart moins d’onze heures » n’existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : « Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps ! » Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent ».

Et toi, en tant qu’apprenant·e du français, tu peux lire ce livre écrit dans une langue simple !

un avortement : arrêt d’une grossesse

châtié : d’un niveau soutenu

une frayeur : une peur

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